«Dans une lettre adressée à André Billy pour le remercier d´un compte rendu, Apollinaire déclarait : \"Quant aux Calligrammes, ils sont une idéalisation de la poésie vers-libriste et une précision typographique à l´époque où la typographie termine brillamment sa carrière, à l´aurore des moyens nouveaux de reproduction que sont le cinéma et le phonographe.\" Certes la carrière de la typographie, en donnant à ce mot son acception la plus large et en y intégrant tous les perfectionnements récents qu´Apollinaire ne connaissait pas : linotype, lumitype, etc., est bien loin d´être terminée, pourtant, près de cinquante ans plus tard (quand on lit ces textes si frais, on a peine à croire qu´ils ont été composés il y a déjà si longtemps), sa vision nous apparaît comme prophétique. [...] L´intérêt que, dès sa jeunesse, Apollinaire avait marqué pour les caractères cunéiformes et chinois, la sensibilité qu´il avait pour les vieux beaux livres du Moyen Âge ou de la Renaissance, lui ont permis de sentir d´emblée ce qu´il y avait de décisif dans l´introduction flagrante de lettres et de mots dans leurs tableaux par les cubistes, et à l´interpréter dans le contexte de cette révolution culturelle en train de s´esquisser. Le recueil projeté d´idéogrammes lyriques mis en souscription en 1914 et qui devait comprendre tous les calligrammes figuratifs de la première section de notre recueil \"Ondes\" (terme que la \"Lettre-Océan\" nous oblige à interpréter comme désignant avant tout les ondes de la radio), était, comme en témoigne son titre \"Et moi aussi je suis peintre\", une réponse poétique à la prise de possession de la lettre et du mot par la peinture cubiste, mais dès le \"Bestiaire ou Cortège d´Orphée\" de 1911 on voit posé de la façon la plus franche le problème du rapport entre le poème, son illustration et la page.» Michel Butor.